Je n'oublierais jamais cette journée frigide du mois de mars 2008. Le Canadien connaissait toute une saison et s'apprêtait à entamer les séries éliminatoires avec énormément d’espoir. De mon côté, ma conjointe était enceinte, en attente de jumeaux. Ayant perdu mon emploi quelques semaines plus tôt, j’avais décidé d’aller attendre les joueurs du CH à l’extérieur de l’historique auditorium de Verdun (où ils pratiquaient dans ce temps), en espérant pouvoir obtenir un autographe sur deux gilets du Canadien que j'avais acheté pour mes futurs nouveaux-nés. Il pleuvait fort, mais plusieurs fidèles demeuraient là, en attente, afin de pouvoir voir leurs idoles de près, une fois la pratique terminée.
Les frères Kostitsyn furent les premiers à sortir de l’aréna. Flanqué d’une serviette couvrant leur tête, ils filèrent à l’anglaise, et ce malgré les cris de leurs supporteurs. Ils entrèrent dans l’autobus de l’équipe sans aucun intérêt envers leurs fans . Un joueur après l’autre passaient devant nous sans même nous regarder, comme si nous étions invisibles. Pluie verglaçante nous tapant sur le visage, nos mains tremblant de froid, plusieurs d’entre nous, découragés, avaient décidé de quitter les lieux.
C’est à ce moment-là que Patrice Brisebois fit son apparition. Il s’arrêta, dans son uniforme trempé, en plein déluge, et accepta gracieusement de signer les chandails, d'aposer ses initiaux sur chacun des bouts de papiers mouillés, ainsi que de prendre des selfies aves les quelques fidèles toujours présents. Guy Carbonneau défila, quelques instants plus tard, et, sourire aux lèvres (après tout l’équipe filait le parfait bonheur), alla saluer les partisans.
C’est un moment que je n’oublierais jamais, et qui résume assez bien le pourquoi derrière le fait qu’autant de Québécois francophones se sentent plus proches des joueurs qui viennent d’ici, pourquoi ceci leur importe tant. Ils peuvent s'identifier à ces joueurs. Plusieurs de ces joueurs, ayant grandi ici, ressentent aussi une plus grande affinité envers les leurs, un sens de responsabilité envers leur partisans qui les côtoient un peu partout dans la province une fois la saison terminée.
Est-ce que ceci veut nécessairement dire que ces joueurs en donneront plus sur la glace, qu’ils seront plus performants, qu'ils amélioreront les résulats de leur équipe? Possiblement, mais certes pas dans tous les cas. Le but ici n’est pas de débattre si le Canadien aurait participé aux éliminatoires ces dernières années en ayant plus de joueurs issus d'ici, mais plutôt d’essayer d’expliquer, à ceux qui trouvent que d’avoir des athlètes, entraineurs ou même un Directeur Général Québecois n’a guère d’importance. Que ceci est, dans les faits, est bien loin de la réalité de ce que veulent la vaste majorité des amateurs de hockey Québécois.
Je vous assure que mon commentaire n’a aucun motif politique. Je me considère et Québécois et Canadien. Depuis que je regarde le hockey (près de 40 ans) j’ai idolâtré autant de joueurs Américains, Canadiens, et Européens que des joueurs Québécois. J’ai vivement applaudi, même adoré, des joueurs tels que Larry Robinson, Chris Chelios, Mats Naslund, Tim Raines et Gary Carter. Mais, à quelques exceptions près, le lien d’affinité envers ces athlètes, pour plusieurs dans notre belle province (et plus particulièrement les francophones) n’est pas au même niveau que lorsqu’on parle d'un Guy Lafleur, d'un Jean Béliveau, d'un Stéphane Richer ou d'un Guy Carbonneau de ce monde.
Maintenant, la question qui tue : est-il réaliste de croire qu’on pourrait bâtir une équipe talentueuse, potentiellement championne, avec une majorité de joueurs francophones Québécois, en 2022? J’en doute fortement. D’un, le Québec ne produit plus autant de joueurs de haut niveau comme il y a une vingtaine d’années. De plus, les frontières se sont ouvertes à des joueurs d’un peu partout dans le monde au cours des dernières décennies, et ceci n’est pas à la veille de changer. Mais, il faut tout de même que la direction du Canadien fasse un plus grand effort à cet égard, surtout quand vient le temps de repêcher des joueurs locaux. Or, on ne peut pas dire que ce fut le cas durant l’ère Timmins.
Ce qui m’agace tout autant, par contre, est le fait que pour certains journalistes et autres personnalités dans nos médias sportifs Québecois (ainsi que certains politiciens qui aiment se mêler des affaires du CH), même avec une direction majoritairement francophone (tant chez le CH qu'avec le Rocket) ces dernières années, ils trouvent toujours le moyen de se plaindre. Si l’on sondait les experts à travers le monde du hockey, je doute que la majorité dirait que les candidats Québecois potentiels au poste de DG ou VP Hockey (les Quintal, Brière, Darche ou Marc Denis) sont aussi qualifiés que Jeff Gorton. Mais il y en a eu plusieurs qui ont fait la baboune ces dernières semaines, qui ont été dérangés pas l’embauche de l’ex Directeur Général des Rangers de New York, simplement parce qu'il n'est pas un "ptit gars de chez nous". Je trouve cela vraiment dommage et je me questionne si ces journalistes et membres des médias tiennent vraiment à coeur les succès du CH.
D’autres, profitant du fait que le Canadien en arrache (énormément) cette saison, ont décidé d’essayer de trouver une place à leurs joueurs locaux favoris. J’en ai entendu certains suggéré que Raphael Harvey-Pinard ne pourrait pas faire pire que des joueurs établis de la Ligue Nationale comme Arthuri Lehkonen ou Joel Armia. J'avoue que ca m’a fait sursauter, mais telle est la réalité de ce marché. Privé de joueurs locaux de talents depuis des années, il y en a trop qui aiment s’imaginer des contes de fées, contes qui rendraient même Fanfreluche jalouse. Ce sont ces mêmes individus qui criaient à l’injustice à chaque fois que le Canadien descendait Charles Hudon dans les mineures, ou offrait moins de temps de jeu à un joueur comme David Desharnais plus tard dans sa carrière. Faut se le dire : on est loin du « à talent égal, faut favoriser un gars d'ici ».
Au fait, que ce soit dans le cas de l’embauche controversée de Jeff Gorton ou la forte propagande médiatique commes quoi des joueurs locaux seraient meilleurs que des joueurs existants qui leur sont supérieurs, on en est rendu à suggérer qu’un athlète ou dirigeant d’ici, peu importe l’écart au niveau des compétences, devrait être l’option privilégiée en tout temps. D'autres proposent des comparaisons boiteuses tel que la dernière fois que le CH était une équipe championne en 1993 c'est parce que la majorité des joueurs provenaient d'ici. On semble oublier la contribution des Muller, Bellow, Leclair, Scheider, etc ainsi que le fait que les Européens et Américains n'étaient qu'une infime minorité dans la Ligue Nationale. Avoir autant de Québecois dans une équipe en 2022 ne serait certes garant du succès. C’est comme si on voulait, comme dirait les anglos, « have our cake and eat it too ».
Donc, oui, le fait français est très important au Québec, mais il faut simplement trouver un juste équilibre sans se lancer dans des commentaires avec des buts politiques ou émotifs sous-jacents.
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